Après Sisters, présentée aux Rencontres chorégraphiques en 2008, voici Katalin Patkaï de retour avec son esprit baroque, absurde et foisonnant, tempéré cette fois par la rigueur et la maîtrise d'Ugo Dehaes, avec qui elle collabore. Au départ, deux corps sans sexe et sans âge, emmitouflés dans des vêtements et ramassés sur eux-mêmes cheminent l'un vers l'autre tels deux culs-de-jatte ou deux nourrissons, se traînant sur du papier à bulles dont les micro-explosions rythment l'avancée. Puis ils sortent de leur chrysalide et apparaissent nus comme Adam et Eve, à la différence près que ce sont deux Eve, l'une toute jeune, l'autre un peu plus âgée.
Elles rentrent en contact, se jaugent, s'explorent, se mêlent et s'éloignent dans une chorégraphie où l'inventivité de la scénographie se marie à l'énergie et l'expressivité des deux interprètes, Katalin Patkaï elle-même et Justine Bernachon, circassienne, danseuse et comédienne, aussi à l'aise au trapèze du portique que dans la tranquille exploration des corps et des objets. On pense ici au mythe du bon sauvage ou au paradis perdu. La nudité ici n'est ni érotisée, ni conceptualisée, elle affirme simplement la force du désir et des corps, leur fragilité aussi, sans pudeur et sans provocation.
Après le corps à corps, c'est à une joyeuse et curieuse auscultation de l'environnement que se livrent les deux femmes : une fois rendues à la nudité, elles peuvent redécouvrir le monde, retrouver un élan vital débarrassé de la tradition, de la culture, de la religion. Elles s'emparent des objets suspendus au portant de métal qui s'élance tel un échafaudage, jouent avec des boudins colorés, sorte de végétation exotique et extravagante, se glissent dans des vêtements suspendus, deviennent ballerines l'espace de quelques instants, se suspendent à une balançoire ou dans les airs et redécouvrent les plaisirs de l'enfance. Le décor devient costume, la scénographie chorégraphie.
JEUDI revisite ainsi la figure du duo pour en déjouer les postures et les présupposés et livre une version d'aujourd'hui, parade jubilatoire faite à l’autre, sensuelle et intense, poétique, légère et libre.