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La Libre Belgique - 10/03/2021
Le Pavillon des robots et de l’intelligence artificielle Musée

Sur l’esplanade de la Citadelle, surplombant la Meuse et la ville de Namur, à côté de l’arrivée future du téléphérique prévue pour avril, s’est posé un curieux Pavillon, comme une station astronomique, avec son dôme de verre et ses longs “bras” de bois.
Conçu par l’architecte namurois Patrick Genard, construit par Besix-Vanhout, il avait abrité en 2015 le pavillon belge à l’exposition universelle de Milan. Son éco-design et son côté futuriste conviennent bien à sa nouvelle affectation, cette fois pérenne.
Pour 4,3 millions d’euros payés par la Ville, ce bâtiment de 2 700 m2 et quatre niveaux a été réinstallé à Namur et adapté aux nouvelles conditions d’utilisation (chauffage, isolation, sanitaires).
Le projet a été confié à l’ASBL Kikk, créée en 2011 et qui, depuis, est devenue une référence internationale pour sa capacité à jeter des ponts entre l’art, la science et la technologie. Chaque année, le Kikk Festival attire durant un long week-end près de 30 000 visiteurs, dont 20 % d’étrangers venus de 50 pays différents, et autant de néerlandophones que de francophones, avec une programmation mêlant grand public (œuvres d’art) et spécialistes (conférences et work-shops ).
Le Pavillon ouvre du 13 mars au 13 juin (mercredi, samedi, dimanche) pour une phase de test auprès du grand public. On procédera ensuite à des travaux complémentaires (aménagements intérieurs et des abords) pour une ouverture cette fois permanente au printemps 2022.

Comme pour le Kikk Festival, la programmation du Pavillon propose des expositions grand public qui montrent ce qu’on peut créer comme “œuvres” à partir des technologies les plus nouvelles, mais propose aussi un laboratoire, des conférences et débats, et, au sous-sol, un Playground plus spécialement destiné aux petits et grands visiteurs.

Médiateurs
Marie du Chastel, programmatrice artistique du Kikk Festival, remplit cette même fonction au Pavillon et a préparé l’exposition d’ouverture sur le thème Humans/Machines .
Une première salle dans un des “bras” du bâtiment est consacrée à la robotique. Sur trois écrans, on voit ses développements vertigineux et un peu angoissants : l’humanoïde Sofia à la tête et la voix si humaines qu’elle a acquis la nationalité saoudienne ; les chiens robots qui savent faire des saltos et les animaux biométriques du MIT comme son koala.
L’objectif est non seulement de montrer ce que ce futur à notre porte a d’oppressant, mais de le démystifier. Comme le dit Marie du Chastel, “il vaut mieux programmer qu’être programmé”.

L’humour aide comme le fait ce robot industriel (Filipe Vilas-Boas) assis sur un banc d’écolier et qui doit comme punition écrire sans fin sur des feuilles de papier “I must not Hurt Humans” (“Je ne dois pas frapper les humains” ).
Le long du mur, un robot placé sur une planche de skate et maniant des bombes de peinture, crée une fresque de graffitis.
Plus inquiétants sont les bocaux d’Ugo Dehaes, comme ceux protégeant des embryons, mais, ici, ils contiennent des morceaux de robots qui palpitent encore dans le formol comme des organes vivants.
L’expo est conçue aussi bien pour les touristes de tous âges (qui viendront aussi par le téléphérique parti de Delta en contrebas) que pour les spécialistes. La visite prend entre une heure et une heure et demie et des médiateurs, dans chaque salle, peuvent répondre aux questions.

Beatles neufs à volonté
La seconde partie analyse les prodiges de l’intelligence artificielle capable, de plus en plus, de “mimer” l’homme. Une sculpture, faite d’une carcasse d’ordinateur et appelée Narcisse, se regarde dans un miroir et, au départ de milliers d’images ingurgitées, essaie d’analyser ce qu’elle voit. L’Américain Diemut Strebe propose un étrange objet, un peu obscène, avec un nez sur une bouche ouverte. Mais de cette “sculpture” sort, en permanence, des prières et chants religieux inventés par l’algorithme de la machine à partir de milliers de textes religieux du monde.

Le Daddy’s Car de Sony peut, à volonté, créer des chansons inédites des Beatles depuis l’analyse de 45 de leurs chansons.
Si l’exposition met en lumière ces avancées technologiques fascinantes, elle en pointe aussi les dangers afin que le visiteur apprenne à les maîtriser. Une section est consacrée aux deepfakes , les images et sons de synthèse basés sur l’intelligence artificielle et qui permettent de créer des vidéos où images et sons sont des faux indétectables.
On le voit avec plusieurs exemples dont la vidéo où les leaders du monde, de Trump à Poutine, chantent “” de John Lennon en bougeant les lèvres et le visage de manière juste et stupéfiante. Un autre exemple montre comment ces machines opèrent.
À nouveau, la poésie peut s’immiscer avec l’installation de l’Anglaise Anna Ridler. Au départ de 10 000 photos de tulipes hollandaises, un algorithme crée devant nous, sur un écran, des espèces inédites de tulipes avec ce clin d’œil en plus rappelant la spéculation sur les bulbes de tulipes en Hollande en 1637, le premier krach boursier de l’Histoire. Ici, les nouvelles tulipes sont reliées en permanence au cours du bitcoin.

Marie du Chastel explique comment les expos (deux par an en régime de croisière) iront de pair avec des conférences et débats et avec un week-end des familles en mai. En novembre, le Kikk Festival abordera entre autres “la culture face à la pandémie”. Elle a bien conscience du ras-le-bol des gens devant les écrans et le distanciel, et elle insiste pour montrer que les nouvelles technologies ne sont pas équivalentes à des écrans et qu’elles peuvent servir à réinventer la culture.

Chats et humains
Au premier étage, est abordée la reconnaissance faciale avec ses limites amusantes : un artiste coréen a affiché, côte à côte, des photos de gens pris pour des chats par les machines de reconnaissance faciale, et l’inverse.
Mais on peut voir aussi, plus inquiétant, comment ces algorithmes renvoient aux analyses de visages d’Alphonse Bertillon au XIXe siècle, le pionnier de la police scientifique. De quoi donner le frisson quand on sait qu’en Chine, déjà, les caméras de reconnaissance sont omniprésentes.

Un amusant miroir se détourne quand on cherche à s’y voir !
D’autres œuvres aussi amusantes et interpellantes sont à découvrir.
La Lab, le laboratoire, abrite des recherches en cours comme ce capteur à placer sous le menton et qui permet d’analyser les troubles du sommeil de manière plus douce que les techniques hospitalières actuelles, ou ce gant connecté qui peut créer de la musique avec le mouvement de la main, ou encore ce tee-shirt Soundshirt que les personnes sourdes peuvent enfiler pour entendre la musique via leur corps.

Sur les terrasses du Pavillon, un grand kaléidoscope diffracte les images du paysage.
Dans le sous-sol, on s’amusera de 7 à 77 ans : une balançoire fait bouger un ciel étoilé, on peut s’incruster dans un tableau de Munch ou Van Gogh, danser avec son image en miroir, ou créer sa musique avec des formes psychédéliques.
L’ambition du Pavillon est tenue : “Comprendre, questionner, soutenir et impulser les nouveaux possibles lié s à la transformation numérique de la socié t é par le biais de l ’ art, de l ’ exp érimentation et du sensible. ”

Guy Duplat

Le Pavillon, esplanade de la Citadelle de Namur, 65, route Merveilleuse. Ouvert le mercredi, samedi, dimanche : de 12 h à 18 h, à partir du 13 mars et jusqu’au 13 juin, sur réservation uniquement via le site https://www.le-pavillon.be/

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